L’affaire LIBRA : Javier Milei blanchi, la crypto secoue la présidence argentine

Le contexte : une économie argentine sous tension, un président très crypto-friendly

L’Argentine vit depuis plusieurs années dans une instabilité économique profonde. Inflation galopante, monnaie nationale affaiblie, fuite vers les devises alternatives : les cryptomonnaies y trouvent un terrain fertile.

Élu fin 2023, Javier Milei s’est rapidement distingué par un discours radical en faveur du libéralisme économique et par son ouverture affichée au monde crypto. Dès son arrivée au pouvoir, il a fait de l'adoption des actifs numériques un thème central de sa politique, n’hésitant pas à s’exprimer directement sur X (anciennement Twitter), où il est suivi par des millions d’abonnés.

Le post qui a déclenché la tornade : LIBRA propulsé par un tweet

Le 14 février 2025 à 17h01 (heure de l'Est), Milei publie un message vantant les mérites du token LIBRA, un memecoin jusque-là obscur. En quelques minutes, le volume d’échange explose, le cours s’envole, et la capitalisation dépasse les 4 milliards de dollars.

Mais l’euphorie est de courte durée : en moins de 24 heures, LIBRA perd 94 % de sa valeur. Résultat ? Des pertes astronomiques pour les petits porteurs : 251 millions de dollars au total, selon les données de Nansen, spécialiste de l’analyse on-chain.

Ce mouvement brutal évoque un pump-and-dump, une stratégie bien connue dans le monde crypto où des insiders orchestrent un envol artificiel pour revendre au sommet, laissant les investisseurs piégés.

Une enquête en deux temps : exonération éthique, poursuite judiciaire

Devant l’ampleur du scandale, l’Office anticorruption ouvre une enquête. Le 5 juin 2025, il conclut que le président Milei n’a pas enfreint les lois éthiques : son post est jugé personnel, sans utilisation de ressources étatiques. Le compte X utilisé existait avant son mandat et n’est pas officiellement rattaché à la présidence.

Mais ce jugement n’éteint pas les tensions. En parallèle, une enquête criminelle fédérale reste ouverte, visant à déterminer si le président ou des proches ont pu profiter de la manipulation de marché. Cette instruction est critiquée pour son manque de transparence, en particulier après la dissolution par décret présidentiel de la cellule d’enquête dédiée, le 19 mai.

Qui est derrière LIBRA ? Enquête sur les architectes du projet

Deux noms émergent derrière le lancement de LIBRA :

• Hayden Davis, PDG de Kelsier Ventures, société connue pour ses investissements agressifs dans des tokens à fort potentiel spéculatif.

• Julian Peh, fondateur de KIP Protocol, infrastructure blockchain.

Kelsier Ventures aurait tiré environ 100 millions de dollars de profit. Davis affirme ne pas posséder directement les tokens. Mais la structure opaque du projet et la coïncidence temporelle avec le tweet présidentiel renforcent les soupçons.

Selon les données on-chain, 15 430 portefeuilles ayant échangé au moins 1 000 dollars ont enregistré des pertes nettes. Une majorité des victimes sont des petits investisseurs, souvent attirés par l’effet d’annonce présidentielle.

L’impact politique : baisse de popularité, mais Milei reste combatif

Le tollé provoqué par LIBRA a laissé des traces. Le sondage de mars 2025 du cabinet Zuban Córdoba montre une chute de la popularité de Milei, passée de 47,3 % à 41,6 % en quelques mois. L’opposition appelle à sa destitution pour “usage abusif d’influence”.

Mais Milei, fidèle à son style provocateur, rejette les accusations. Il affirme ne pas avoir “fait la promotion” du token, mais “simplement relayé” une opportunité émergente. Une stratégie de communication risquée, mais cohérente avec sa posture libertarienne.

LIBRA, un cas d’école du pouvoir d’influence politique dans le Web3

L’affaire LIBRA s’inscrit dans une tendance plus large : l’influence des personnalités politiques sur les marchés décentralisés. À l’instar de Donald Trump ou Elon Musk, Javier Milei démontre qu’un seul post peut déplacer des millions de dollars en quelques minutes.

Mais cette influence soulève des questions fondamentales :

• Où s’arrête la liberté d’expression pour un élu ?

• Une autorité publique peut-elle être tenue responsable des effets spéculatifs de ses propos ?

• Comment encadrer ces comportements dans un univers décentralisé sans organe central de régulation ?

Autant de chantiers à venir pour les régulateurs du monde entier, alors que les memecoins et les shitcoins prolifèrent souvent sans garde-fous.

Vers une redéfinition de la communication présidentielle à l’ère crypto ?

L’affaire LIBRA pourrait bien être le point de départ d’un nouveau cadre juridique, non seulement en Argentine, mais à l’échelle internationale. La frontière entre communication personnelle et fonction institutionnelle devient de plus en plus floue, à mesure que les chefs d’État investissent les réseaux sociaux et le Web3.

Les enjeux ne sont plus seulement politiques, mais aussi économiques, sociaux et technologiques. Et dans ce paysage mouvant, chaque tweet peut devenir un signal de marché.

En blanchissant Milei, l’Argentine clôt un chapitre, mais ouvre un débat mondial : peut-on séparer la parole d’un président de son pouvoir d’influence économique ? LIBRA, pour beaucoup, est plus qu’un simple token : c’est le symbole d’une nouvelle ère où les marchés s’enflamment… à la vitesse d’un retweet.